« Le SAS 2A, une ruée vers l’air ? » > les collègues du SAS 2A de la Cité St Martin nous font découvrir leur service

22/05/2019 | 2 986 vues

Un dispositif expérimental

Il y a 12 ans, deux institutions, l’une sanitaire, l’autre sociale, intervenant sur le même secteur géographique et partenaires, constatent la difficulté de proposer des lieux adaptés pour des personnes fragilisées psychiquement. D’une volonté d’associer et de décloisonner leurs compétences et leurs spécificités est né le dispositif expérimental « SAS 2A » (Service d’accompagnement social en appartements d’autonomisation), fruit d’une convention entre le CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) de la Cité Saint-Martin[1] et le pôle de Psychiatrie Paris Centre des Hôpitaux de Saint Maurice[2]. Ce service propose un accompagnement psychosocial, avec ou sans mise à disposition d’hébergement, pour des personnes adultes, suivies et orientées par le pôle Paris Centre.

L’équipe est composée de professionnels des deux institutions (trois éducateurs spécialisés, deux soignantes du pôle de psychiatrie), elle est établie dans des locaux hors des deux institutions. Le SAS 2A dispose d’appartements diffus dans Paris, mis à disposition de 14 personnes (11 logements individuels type studio, un appartement partagé de 3 places). Les personnes admises sont inscrites dans un parcours de soins psychiatriques régulier et se sentent prêtes à faire l’expérience d’un ancrage dans un lieu de vie. C’est à partir de ce lieu que l’équipe les aide à développer la plus grande autonomie possible, trouver ou retrouver un meilleur confort de vie, une plus grande stabilité psychique et les soutient dans leur processus d’insertion. L’équipe propose un travail d’accompagnement semblable à 12 autres personnes qui disposent de leur propre lieu d’habitation et qui rencontrent des difficultés à l’investir ou à s’y maintenir.

Pour les personnes hébergées par le SAS 2A c’est une aventure « au long cours » qui débute. Elles savent, suite aux différents entretiens préalables à l’admission, que nos rencontres seront nombreuses et continues jusqu’à l’obtention de leur propre logement. Jusqu’au relogement, c’est-à-dire pendant 3 ou 5 ans, nos rencontres sont hebdomadaires, ce qui crée un lien particulièrement étroit, une « familiarité » certaine permettant également un recours aisé en cas de difficulté, même si le service n’est ni un dispositif de soins ni un dispositif d’urgence. L’équipe propose également des temps collectifs, des temps de partage et de convivialité qui renforcent le lien constitué.

« LE SAS 2A, même absents, vous êtes là »

Les personnes accompagnées savent aussi les liens que l’équipe entretient avec les équipes de soins, qu’elle est très mobile et réactive. Elles nous croisent au CMP (Centre médico-psychologique), au centre de jour, à l‘hôpital parfois, elles nous savent « à côté », mais aussi « dedans », ce qui place le service au cœur du parcours de soins.

En 10 ans, sur 43 personnes hébergées, plus de 72% d’entre elles ont accédé à un logement pérenne, (plus de 51% en logement social parisien, le plus généralement sur le secteur géographique du pôle, un peu moins de 10% en maisons relais ou maison communautaire, un peu moins de 5% en CHRS, 2% en Accueil Familial Thérapeutique). 4 d’entre elles ont pu être accompagnées jusqu’à leur départ en province, 9 autres ont souhaité mettre fin à leur accompagnement avant d’être relogées. En effet, si l’aspiration explicite des personnes admises au SAS 2A est au départ d’acquérir une autonomie suffisante pour vivre dans leurs propres logements, l’épreuve du réel peut révéler des empêchements à la réalisation de ce projet et conduire à le réorienter vers un lieu de vie plus adapté.

La singularité de l’équipe, où travailleurs sociaux et soignants spécialisés exercent ensemble hors de leurs institutions, permet de croiser non pas à chaque étape, mais au quotidien leurs regards, de réajuster en permanence, de rassembler face à ce que la psychose morcelle. L’accompagnement prend la forme d’un binôme éducateur/soignant. La présence des soignants permet aux éducateurs de reconnaître davantage les effets de la maladie, d’aménager ses impacts et de diminuer les obstacles à la relation. Inversement, les soignants peuvent faire un pas de côté, approcher davantage la personne dans son « être social ». Même si la référence est inscrite dans le travail d’accompagnement, l’équipe veille à alterner les intervenants lors des RDV. L’étayage et le transfert sont ainsi organisés à partir du « contenant équipe », sans exclusivité. C’est cette équipe qui fait contenant pour expérimenter un espace à soi pour exister, quitter le domicile familial, l’hôtel, le foyer… C’est cette collaboration effective, cette autonomie, cette disponibilité, mais aussi la mise en concret « de la vie de tous les jours dans la vie de tous les jours » auprès d’un public majoritairement jusqu’alors fortement institutionnalisé et peu inséré qui permet de construire des accompagnements sur mesure, collaboratifs, et à chacun de réaliser son projet.

« Le SAS 2A, vous êtes comme un matelas confortable qui atténuerait la chute, voire la rechute »

L’étayage proposé par le SAS 2A est un facteur de stabilisation reconnu par tous, personnes accompagnées et, le cas échéant, leurs familles, ainsi que par les équipes soignantes. Les personnes accompagnées ont moins recours à l‘hospitalisation et rechutent moins fréquemment ou moins gravement. La mixité de l’équipe dans un quotidien de travail enrichit chaque professionnel par la transmission de leurs savoirs propres et la constitution d’une culture commune, la possibilité d’utiliser les outils constitués par les deux institutions porteuses du projet où chacun est légitime. C’est aussi une équipe singulière qui ne peut s’organiser autour de la référence hiérarchique, au vu des statuts différents, ce qui la rend autonome et adaptable en permanence.

Le SAS 2A, ce sont les personnes qui l’utilisent qui en parlent le mieux.

Robin, à l’occasion du bilan d’une année d’accompagnement, a livré un témoignage qui en dit bien plus que tout ce que l’équipe pourra décrire de son travail. Nous vous le livrons tel quel, avec son accord.

« Initialement, l’objectif était de favoriser une installation dans l’appartement qui ne soit pas « nocive », ni source d’angoisses ni de déprime ; mais finalement, le suivi s’est révélé beaucoup plus riche, et je me suis rendu compte que les problèmes ne relevaient pas uniquement d’un problème d’installation, mais que d’une certaine façon, d’une manière plus riche, le suivi permettait d’appréhender au mieux, et même pour le meilleur, la vie courante et les choses les plus habituelles aussi bien que celles anxiogènes que celles sources de joie et d’enthousiasme. De ce point de vue, le SAS 2A a permis en plus d’une ouverture indéniable au monde, de favoriser un abord plus facile et beaucoup plus apaisé et même joyeux dans les relations, aussi bien avec l’équipe du SAS 2A qu’avec l’extérieur plus généralement. J’ai pu me conforter, et m’asseoir plus confortablement et plus solidement en moi ; et encore mieux, j’ai pu me permettre des découvertes dans mon petit monde plutôt clos de façon plus riche et nouvelle, ainsi qu’accéder à des découvertes plus faciles qui étaient au début du suivi plutôt inabordables, comme par exemple les supermarchés, les magasins ou même les cafés, qui sont (les cafés) devenus agréables et positifs.

Je marque surtout le début de ce « déclic » à partir de l’emménagement dans l’appartement. Mais je trouve que le réel franchissement de la limite d’angoisse s’est fait à travers le projet de reprendre quelque chose à la rentrée 2018. J’ai du coup vu avec une personne de l’équipe du SAS 2A, une des conseillères en insertion professionnelle de la Cité Saint-Martin, en hiver, sous la neige, je suis également allé accompagner de la même personne consulter le responsable du relais handicap de l’EHESS[3], et puis il y a eu la Cité des Métiers[4]avec une personne de l’équipe du SAS 2A, qui était un moment vraiment très difficile, et puis ensuite les portes ouvertes de « la Bonne Graine »[5] que j’ai faites seul, ce qui était absolument et complétement inenvisageable à l’origine. Vu avec le recul, l’accomplissement de tous ces caps me semble plutôt stupéfiant et même irréel et quasi relevant du miracle. De ce point de vue, il est clair qu’avant le « déclic », il y a eu réellement des transformations en arrière-fond qui ont permis un complet décapsulage de mes problèmes. Je regarde aujourd’hui le chemin parcouru en peu de temps de manière assez sidéré. J’ai pu également partir pour la première fois en 4 ans, en vacances avec ma mère et ma sœur, ce qui après une tentative avortée et un échec à l’origine, me semblait pour toujours irréalisable. La disposition des espaces a toujours été source d’une angoisse profonde – mais dieu sait pourquoi, elle s’est presque neutralisée aujourd’hui. Plus étonnant encore, je peux désormais envisager assez sereinement de reprendre des études à la rentrée ou du moins « imaginer » entrer dans le monde du travail par un emploi à temps partiel, dans un projet qui même s’il semble difficile semble néanmoins plus réaliste et plus mis à plat, plus déconstruit. Je suis devenu plus accessible aux autres, ce qui étant donné mon renfermement naturel, n’était pas une promesse tenable il y a quatre ans. J’appréhende moins de me conforter aux autres, et engager une conversation dans un environnement à peu près normal, est nettement plus évident.

De ce point de vue, le SAS 2A plus qu’un simple dispositif sensé aider à l’autonomie et à l’accompagnement me semble d’une aide plus fondamentale. Il permet, à mon sens, de trouer l’écran de la réalité, et de montrer que derrière le trompe l’œil, que ce soit des anxiétés, des problèmes ou quoi que ce soit, des perspectives peuvent être ouvertes et sont simplement là. Quelque part, le SAS 2A permet de décloisonner des murs invisibles, aussi bien de manière directe, tout autant que par un travail de déminage plus personnel dans l’échange, que face à soi-même. Je dirais surtout que c’est ce travail de déminage plus minimal, moins spectaculaire, et plus en arrière-fond, quasi en sourdine, qui a complétement changé mon rapport à mon environnement et surtout mon face à face vis-à-vis de mes propres problèmes. Quelque part, le SAS 2A a été une complète révélation humaine, aussi bien pour l’équipe qui la constitue, que pour ce que j’ai appris de manière plus informelle. L’accompagnement a vraiment été quelque chose de particulier et d’enthousiasmant ce qui au départ, n’était vraiment pas gagné ! Alors je remercie toute l’équipe pour ce qu’ils ont fait pour moi et simplement pour ce qu’ils sont. »

Robin a ainsi pu reprendre le cours de sa vie, comme suspendu depuis l’avènement de la maladie. Il a rapidement fait face à toutes les exigences de l’autonomie et reconstruit du lien social. À ce jour (mars 2019) Robin est inscrit en Master 1 de philosophie à la Sorbonne. Il a validé toutes les épreuves du premier semestre. L’équipe du SAS 2A continue à le soutenir et il poursuit ses soins au CMP[6].

Fanny Houdin, Coralie Vallias, Hervé Rossignol, Pascal Lucas, Nelly Derabours


[1] Association des Cités du Secours Catholique

[2] Paris 1, 2, 3, 4ème arrondissements

[3] École des Hautes Études en Sciences Sociales

[4] Lieu de ressources et de conseils dédié à la vie professionnelle

[5] École d’ébénisterie

[6] Centre médico-psychologique